الأحد، 27 مايو 2018

"La chevelure de Lounja", Conte Amazigh traduit par M. Nejm-eddine Mahla

"La chevelure de Lounja", 
Conte Amazigh traduit par M. Nejm-eddine Mahla
de la Version Éditée Par M. Abdellah Lahsaini



Il était une fois un homme d’âge mûr mais au comportement insidieux et trompeur et ce au grand dam de ses deux coépouses éplorées. Ce mâle était connu parmi les siens pour sa nonchalance proverbiale. Il était surtout porté sur l’oisiveté et le farniente, ce qui n’était pas du goût de ses deux compagnes qui lui rendaient bien la pareille en lui menant la vie dure. Ne pouvant plus supporter les vociférations des deux femmes, il prenait la poudre d’escampette à chaque fois que l’occasion se présentait, pour ne revenir qu’à la tombée de la nuit. Et à chaque fois, il était accueilli avec les honneurs qui lui étaient dus : des cris, des lamentations et des trépignements à n’en pas finir de la part de ses deux bourgeoises. Leur patience était à bout. La sienne aussi. Que faire ? Il avait plus qu’assez de cette situation intenable. Toujours sur le qui-vive, toujours à trouver des excuses, toujours à parer aux coups traîtres. Autant qu’il trouvât une solution. Et radicale. Elle ne tarda pas à éclairer sa lanterne. Il avait enfin la possibilité de disparaître dans la nature sans laisser de traces, loin des deux succubes qu’il avait pour femmes.

Un matin, il se leva d’un bon pied avant même le chant du coq et commença à fredonner avec allégresse. Il était sûr de son coup. Le voyant tout ragaillardi, Aggouna, sa seconde épouse sauta de joie. Elle se dépêcha de lui préparer son petit déjeuner et alla ensuite réveiller Maïmouna, l’autre épouse pour lui faire part de la bonne nouvelle. Leur mari allait enfin retrousser ses manches. Mais elle fut réveillée de son doux rêve par la voix éraillée de son mari : « Hé toi ! Où est-ce que tu as mis les sacs de provisions ? ». C’étaient quelques sacs de fèves, tout ce qui leur restait comme provisions pour le restant de l’année. La pauvresse se figea sur place et comprenant les intentions de son félon de compagnon, elle se retourna et rouge de colère elle lui balança au visage : « Comment ! Tu veux vider le vivrier ? Tu trouves que c’est une sage décision ? Autant dire que tu as l’intention de te débarrasser de nous par la faim.
-Crois-tu que je vais les bouffer, tes fèves ? répondit-il railleur, ou peut-être tu perçois en moi un ogre, femme ? »
Puis il ajouta avec verve : «  Je vais semer ces fèves et pour de vrai cette fois-ci, et vous allez devenir  d’ici peu les femmes de l’homme aux féveroles ».
Naïve qu’elle était, Aggouna sauta de joie. Pour ne pas susciter la curiosité de Maïmouna, qui était aussi futée que ne l’était sa compagne d’infortune et pour parer  à toutes mauvaise surprise, il lui ordonna : « N’oublie pas de mettre les fèves dans l’eau, femme ! Ainsi ils pousseront en moins de deux  et atteindront les cieux en longueur  et en un rien de temps ».
En gardienne du temple qu’elle était, la première épouse ne fut guère emballée par les facéties de son vilain mari comme le fut Aggouna, au contraire elle resta aux aguets, poussant la précaution jusqu’à le suivre aux limites du village pour s’enquérir de ses intentions.
 On ne saurait jamais !
Un mois s’était écoulé depuis le départ du mari et pas de nouvelles de lui. Cette absence prolongée était sur toutes les lèvres : les proches comme les voisins. Tout le monde demandait de ses nouvelles. Les présomptions battaient leur plein. Où était-il ? Depuis quand ce sacré bonhomme possédait-il des terres cultivables ?
A la fin du deuxième mois, le maître de céans  fit son apparition. Sauf qu’il était revenu les mains, comme les poches, vides. De la récolte ? Rien. Autant dire qu’il était dans de sales draps. Comment allait-il affronter le courroux de ses deux terribles femmes ? Qu’allait-il leur dire quand elles demanderaient après la supposée récolte qu’il leur avait promise il y avait deux mois de cela ?
Elles crièrent de concert : « Où est-elle cette récolte notre cultivateur de mari ? Je vois que l’âne est revenu délesté de tout.
-Demain, répondit-il avec son calme platonicien, parcourez demain tous les champs, et toute féverole atteignant cette longueur, ajouta-t-il en montrant son bâton, et toute graine de la rondeur de mon collier est le bien de votre mari ».
Le matin suivant, avant même que le coq daignât se réveiller, les deux pauvres femmes commencèrent une longue et minutieuse tâche, celle de jauger la longueur et la forme des fèves des champs voisins. Pour faire vite et ne pas se confondre, les deux bonnes femmes se répartirent la besogne. Pour une besogne s’en est une et harassante par dessus tout. Elles continuèrent quand bien même leur tâche jusqu’à ce que le soleil arrivât au zénith. La fatigue et le désespoir les gagnèrent.  Le doute aussi. Il n’était pas à son premier coup. Comment une plante de fève pût  avoir la longueur d’un long bâton et la graine, la rondeur d’un collier ? Bon gré mal gré, elles continuèrent  leur travail de forçat jusqu’à ce qu’elles arrivassent aux limites du champ de l’ogresse. Des relents pestilentiels irritèrent leurs fines narines. Puis des cris de femme se firent entendre, un baragouinage impossible à déchiffrer mais à ses gestes et le ton avec lequel elle s’adressait à elles, elle semblait  demander de quel droit elles voulaient s’adjuger la moitié de sa récolte sans avoir pris part au labeur. Pour leur malheur, elles ne savaient pas qu’elles avaient affaires à une terrible ogresse.
L’Ogresse Thamza était fort mécontente de l’outrecuidance de ces deux intruses. Autant présenter de plates excuses avant qu’il ne fût trop tard.
Aggouna s’interposa pour répondre :
-Nous sommes en train de jauger les fèves d’El Mokhtar notre mari.
Et avant même que l’Ogresse ne pût placer son mot, Maïmouna intervint pour éteindre le feu qui  semblait sur le point de jaillir des ses yeux globuleux :
-Ma gente dame, gloussa la coépouse, nous sommes que de passage, notre destination n’est rien d’autre que notre foyer. Si nous nous sommes arrêtées, c’est pour souffler un peu.
Ce fut de justesse. Elles allaient faire les frais de la bourde d ’Aggouna. Mais l’Ogresse ne l’entendait pas de cette oreille. Elle n’était pas dupe. Elle avait même des intentions nuisibles à leur égard. Elle fit semblant comme si de rien n’était et poussa sa ruse jusqu’à les inviter : « Comme je suis inconsciente, la bienséance m’intime à vous inviter chez moi. Venez, vous êtes les bienvenues ! Laisser votre âne là où il est, je vais l’encorder et il mangera à satiété. Allez montez ! »
L’endroit était sauvage, la porte était si grande qu’elles n’arrivaient même pas à franchir le seuil étant donné que la demeure se trouvât sur un semblant de promontoire. La bête lança sa longue chevelure en guise de corde pour les soulever et leur faire sauter la marche du  seuil et se retrouvèrent comme par enchantement dans l’antre de l’ogresse pour leur plus grand malheur. L’hôte sortit de la maison pour s’occuper de l’âne à sa manière. Elle l’avala d’une traite loin des deux autres proies qui attendaient gentiment à l’intérieur. Pour ne pas éveiller leurs soupçons, elle fit en sorte que ses deux prochaines victimes ne  pussent voir que la tête du pauvre baudet. Preuve qu’il était toujours de ce monde… Maïmouna compris la terrible supercherie et sentit qu’elles étaient tombées tête baissée dans le piège tendu par l’ogresse.
De retour, la goule commença à caresser les enfants des deux inconscientes femmes. Eh oui, pour leur malheur à tous, elles avaient emmené avec elles chacune son enfant. Un garçon pour Maïmouna et une fille qui avait pour nom Lounja pour Aggouna. L’ogresse poussa son audace jusqu’à épucer les cheveux des deux enfants mais ne put s’empêcher de déguster les poux qu’elle arrachait avec méticulosité malgré ses doigts bouffis. Son geste n’échappa guère à Aggouna qui ne manqua pas de lui faire la remarque. L’hôtesse fit vite de la calmer : « ce que vous prenez pour des poux ne sont en fait que des lentilles ». Cette scène confirma les craintes de Maïmouna. Elles étaient bel et bien dans l’antre de l’ogresse. Elle s’ingénia alors de trouver des excuses pour sortir de ce guêpier :
 - Permettez-nous noble dame de poursuivre notre chemin, nous nous sommes assez bien reposées.
 Et l’ogresse de répondre avec un étonnement feint : « Si vous vous êtes reposées, vous, votre âne ne l’est pas. Il a encore besoin de répit. Soudain le vent fit ouvrir la porte et Maïmouna de voir la tête sanguinolente de la bourrique attachée à un tronc d’arbre. Elle fit un clin d’œil à Aggouna qui ne saisit pas l’ampleur du danger qui les entourait. Et l’étourderie de la deuxième épouse ne lui était d’aucun secours si ce n’était de resserrer davantage l’étau et de fermer les dernières issues de salut.
-Nous sommes chez l’ogresse, bredouilla Maïmouna  en lui faisant un clin d’œil.
Mais au lieu de se ressaisir, Aggouna  s’insurgea et réfuta ce qu’elle prenait pour une niaiserie. Et pour enfoncer le clou, elle cria :
-Mais non, ce n’est pas Thamsa ! Et puis … cesse de me faire des clins d’œil !
Maïmouna se rendit à l’évidence que pour échapper à l’ogresse, elle ne devrait compter que sur elle-même et son intelligence. Et sa tâche s’annonçait très ardue. Dormir chez l’ogresse n’avait qu’une issue : la mort assurée. De la viande crue en perspective. Maïmouna, dans un geste preste et sans que la créature des enfers se rendît compte de la chose, déversa le contenu de la jarre, pinça son enfant de sorte qu’il ne cessât point de criailler et pria gentiment leur hôtesse :
-Gente dame, les enfants ont soif et par leur cris ils vont vous déranger, permettez-nous d’aller puiser l’eau du cours qui est près de votre demeure ainsi ces bambins joueront à leur guise, nous reviendrons avec le crépuscule.
La coépouse vit juste. L’ogresse ne tolérait guère les cris des enfants mais prenait quand  bien même des précautions. Elle n’était pas née de la dernière pluie. La rusée femme  fit semblant d’aider sa compagne d’infortune à atteler Lounja sur son dos installé sur le mortier comme c’est la coutume dans ces  contrées reculées. Elle mit ensuite son mortier sur son dos mais sans l’enfant qu’elle avait tant bien que mal caché dans l’un de ses larges manchons qui lui servait pour se protéger des ardeurs du temps en hiver et des ronces des buissons et des sales bêtes le restant de l’année.  Les deux femmes et leurs enfants sortirent tant bien que mal de la demeure de la créature et prirent la voie du salut. Elles se croyaient tirées d’affaire. C’est comme si elles venaient de ressusciter. Une nouvelle vie s’offrait à eux. Elles trottèrent jusqu’à la tombée de la nuit. Avant d’arriver à leur maison, un sixième sens intima l’ordre à Maïmouna de vérifier si Lounja était bel et bien sur le dos de sa mère car elle ne donnait pas signe de vie :
-Aggouna, Où est ta fille, triple buse ?
Aggouna répondit avec dérision : sur mon dos pardi entrain de récupérer, idiote. C’est toi qui nous as mis dans ce guêpier, ajouta-t-elle en la pointant du doigt. Tu aurais dû ne pas accepter son invitation,  je voulais revenir chez nous, j’étais exténuée…
Maïmouna se tut, retenant à peine sa colère. Elle se contenta d’éponger la sueur qui submergeait son front avec son manche sachant que c’était peine perdue que de répondre aux allégations et aux mensonges de cette folle-là. Son sixième sens ne se trompait jamais. Elles avaient perdu l’un des enfants dans l’antre de l’ogresse. Elle introduisit sa main dans la toile d’Aggouna puis tata et  ressentit la froideur du minerai du mortier ; mais de la fille, point. Elles l’avaient bel et bien perdue à jamais, Lounja. Quand, comment ? Nul ne le savait. Mystère.
Thamza voulut avaler ce petit en-cas mais se ravisa au dernier moment ayant constaté que l’enfant était maigrichon et ne valait guère la peine d’être ingéré, il n’apaiserait pas la faim grandissante qui la tenaillait. Elle sursit sur sa décision. Néanmoins, ce n’étais que partie remise.
 Et une nouvelle vie commença pour Lounja.
Les années passèrent depuis, Lounja était devenue une jeune et jolie femme malgré les froufrous qu’elle portait et la longue chevelure qui lui cachait jusqu’au visage. Elle était devenue bon gré mal gré la bonne à tout faire de l’Ogresse. Elle avait vu de toutes les couleurs dans le semblant de demeure qui servait de logis à la Goule. C’était une sorte de grotte surélevée du sol et de longs troncs retenus par une corde de marin qui lui servaient de porte.
La créature avait sept grosses marmites enchantées. Une fois rentrée de ses pérégrinations, elle les appelait dans un éclat de rire guttural pour qu’elles partageassent sa pitance.
Elle sortait pour la chasse et ne revenait que tard dans la nuit, engloutissant tout sur son passage, ne se refusant rien : du minuscule acridien aux chevaux et aux vaches qui avaient eu la maladresse de s’éloigner des sentiers battus ; cependant ses préférences allaient vers le genre humain. De retour, elle brayait comme un âne puis lançait ce qui était un semblant de chant strident dont les paroles disaient :
J’ai bouffé sept personnes, la huitième est une veuve, et le daim est entrain de rissoler sur les braises, lounja, lounja lance-moi ta chevelure, que je grimpe.
 Et la pauvre Lounja d’apparaître, dépêtrée dans ses longs cheveux. Elle lui lançait alors sa longue et soyeuse crinière.
La parité nous impose d’aller voir ce qu’étaient devenues les deux femmes de l’autre côté, des humains s’entend.
Beaucoup d’eau avait coulé sous le pont du village depuis cette fatidique journée. Les jeunes du pays se transmettaient les échos de Lounja dans le pays des Ogres. C’était plus de l’ordre de la légende que de la réalité. Qui pouvait survivre à la voracité de ces créatures des enfers. Elle n’était plus de ce monde. Même son demi-frère était de cet avis. Et pourtant, il y avait quelqu’un au Douar qui se crispait et ressentait une grande peine à l’écoute du moindre de ces ragots. Il s’en offusquait beaucoup.
Le cousin de Lounja, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était l’une des grosses fortunes du village, un homme de bon aloi et surtout le meilleur des orateurs à des lieues à la ronde. Mais un jour cette assurance et ce sang froid qui faisaient sa renommée au village et dans toute la région lui firent défaut devant l’outrecuidance du fils du cheikh de la tribu qui avait abusé de l’autorité de son père pour l’insulter avec des mots durs aux dires même de ceux qui étaient présents lors de cette rixe.
-Comment prétends-tu être ce que tu n’es pas tout en sachant que ta cousine est jusqu’à nos jours prisonnière des Ogres ?
Ces mots firent l’effet d’un coup de couteau au cœur. Il ne s’attendait pas à cette parade. Il accusa le coup mais difficilement. Il tituba et eut beaucoup de difficultés à se ressaisir tant le coup était précis. Le jeune homme retourna chez lui le dos courbé, la tête ailleurs ou plutôt il ressassait ce que lui avait dit le fils de l’Amghar. Et le plus choquant pour lui, c’était qu’avant cette dispute, personne dans son entourage immédiat n’avait parlé de l’existence d’une cousine qui serait entre les mains des Goules.
Sa mère crut que son cœur allait s’arrêter de battre quand il avait demandé des explications. Ce qu’elle avait toujours redouté arriva et vu le ton avec lequel il s’adressait à elle, elle comprit que sa décision était prise et que personne au monde ne pourrait le faire revenir sur ce qu’il avait prévu de faire. Son obstination n’avait d’égal que l’amertume et la rage qui le tenaillaient. Aux regards suppliants de sa pauvre même, il répondit amèrement:
-Que sont les Ogres et les dragons devant les regards facétieux et moqueurs des jeunes du village ?
Il est de mon honneur de la tirer des griffes de cette infâme ogresse quitte à y laisser ma peau, clama-t-il solennellement ses paroles puis, écumant de rage il perdit connaissance. Alors il commença à délirer. Des paroles étranges que seule la vieille herboriste qui vivait à la sortie du village pourrait déchiffrer. On l’appela d’urgence.
Elle approcha son oreille de ses lèvres et secoua la tête, une manière de faire comprendre qu’elle avait saisi les paroles.
-Yamma ya Yamma, Ahrir yassmad, thahrirte thahma!  Ce qui veut dire littéralement : potage froid et soupe chaude, et si je ne m’abuse, ajouta la sorcière, l’une des deux, ou bien le jeune homme veut dire à sa manière qu’il veut prendre femme ce qui est fort possible vu son âge, ou bien il veut qu’on lui apporte les deux plats, ce qui est fort étrange.
Du regard, la vieille d’un geste brusque somma la mère d’aller vite préparer les deux mets. Une heure plus tard les deux plats étaient devant le cousin de Lounja qui avait entre temps repris ses esprits. Comme un balbuzard pêcheur, il empoigna la main de la vieille femme et la mit dans la soupe chaude. La Pauvre voyante cria de tout ce qu’elle avait comme force. Sa mère essaya de lui extirper la main de sa poigne mais sans résultat. Il la contraignit à lui raconter l’histoire de sa cousine dans ses moindres détails sinon… Elle acquiesça de la tête, alors il lui mit sa dextre avec la même dextérité dans l’autre plat.
Elle lui raconta tout y compris où habitait la femelle Troll. Le jour suivant, il sella sa mule, pris quelques provisions et se dirigea vers les terres du sud où, selon quelques rares voyageurs qui en étaient sortis indemnes, régnaient en maître les terribles Ogres. Il savait que ce voyage ne serait pas une simple sinécure mais, pour sa cousine, il était prêt à donner sa vie. Après quelques heures d’un galop effréné, il arriva devant l’antre du troll. Il se plaça contre le vent ; il  avait apprit par la bouche même d’un survivant que ces créatures mi-hommes mi-animal avaient un sens de l’odorat très développé. Il choisit ensuite un tertre couvert de buissons avec vue générale sur les environs et très proche de l’antre de l’ogresse. Il attendit à l’affût. Son attente fut de courte durée. Il entendit une voix éraillée qui dandinait ce qui devait être une chansonnette : « J’ai dévoré sept personnes, la huitième est une veuve, le daim sur la braise rissole ! Lounja, lounja ! Passe-moi ta chevelure, que je grimpe ! »
Et un visage d’une beauté ensorceleuse apparut sur le perron de la grotte qui servait de gite pour la goule. Elle lança une longue et soyeuse chevelure. D’un geste preste, l’ogresse se retrouva à l’intérieur.
Quoique saisi d’une grande peur, le jeune homme n’en fut pas moi enchanté. Il venait de retrouver sa cousine et qui plus était d’une exquise beauté. C’est vrai qu’elle était dans une situation difficile mais le plus important était de la délivrer. Ce qui n’était pas chose aisée.
 Le jeune téméraire ne savait que faire pour sauver la jeune fille. Affronter de face la créature serait du suicide gratuit qui ne ferait qu’envenimer la situation de sa cousine. Comme la nuit porte conseil comme dit l’adage, il  décida d’attendre le jour suivant pour agir.
Le matin, l’ogresse sortit de sa tanière et sans se tourner ni à dextre ni à sénestre, elle se lança à la quête de quelques proies pour changer son quotidien. Il eut juste le temps de se faire tout petit derrière les buissons qui lui servaient de cachette. Il se rapprocha d’un pas furtif du logis et imita à s’y méprendre le chant du Troll. Spontanément, la pauvre prisonnière sortie et lança sa longue chevelure. Au lieu de la méchante marraine, apparut devant elle un jeune et bel homme. L’instant de la surprise passé, elle bredouilla morte de peur :
-Qui êtes-vous ?
Et le jeune homme de l’apaiser en lui racontant toute l’histoire, insistant sur le fait qu’il était venu pour la sauver des serres de l’ogresse. Le ton avec lequel notre héros fit le récit et sa beauté aidant eurent leur effet sur la séquestrée. Elle le fit entrer et le cacha dans l’un des sept chaudrons.
A son retour, l’ogresse sentit que quelque chose avait changé dans les traits de sa « filleule ». Elle lui lança avec un zest de soupçons :
-Il manque une mèche à ta chevelure fillette ?!
Mère Thamza, répondit Lounja comme si de rien n’était, deux coqs s’étaient chamaillés et voulant les départager, j’ai perdu ces quelques cheveux pendant…
-Je sens de la chaire humaine fraîche dans ma demeure rugit-elle en reniflant comme une bête sauvage.
-J’ai eu plus que marre de cuisiner la même pitance, alors j’ai préparé un autre plats  pour vous pour changer, répliqua-t-elle avec sang-froid.
La peur parfois faisait des miracles.
Convaincue, l’ogresse se dérida et repris son air de toujours. Elle mit sa mangeaille devant elle et appela les sept faitouts…
-Allez les marmites, venez partager mon repas ! Les retardataires, je les réduirais en bouillis, harr harr, harr… 
Les marmites rampèrent tant bien que mal, connaissant les sautes d’humeur de la bête. Cependant celle où s’était caché notre héros ne bougea guère ce qui fit sortir l’ogresse de ses gonds. Elle se leva pour mettre à exécution sa menace mais d’un geste preste, Lounja fixa au sol les froufrous qui lui servaient de robe puis, avec l’audace du désespoir, s’interposa en suppliant :
-Ne la casse pas mère Thamza, elle n’a plus pour longtemps, elle arrive à peine à bouger, ce qui est aussi le cas pour vous. Regarde !
En effet, elle essaya d’avancer mais, à cause des clous, elle tomba comme une masse par terre.
L’ogresse tomba dans le panneau. Mais pour combien de temps ? Après le dîner, Lounja demanda à sa marraine, comme si de rien n’était, quel était le secret de sa force phénoménale. Sans se faire prier, la goule prit un sac qui traînait depuis toujours dans un coin du logis et en sortit un tas de ceintures qui, selon elle, étaient toutes enchantées.
-Celle-ci est la force du vent, celle-là est celle de la neige, l’autre, de la pluie…
 Après avoir épuisé le contenu, elle s’affala  à même le sol et dormit comme un sabot. Sans se faire prier, la fille trancha dans le nœud gordien. Elle prit le sac aux ceintures envoûtées, et s’enfuit en compagnie de son cousin sans oublier pour autant de cracher dans le mortier de sa geôlière (pour l’histoire les mortiers répétaient les paroles de ceux qui crachent dedans). Mais l’ogresse avait plusieurs cordes à son arc. Le coq veillait sur sa maîtresse. Il lança aussitôt :
-Cocoricooo, cocoricooo, Lounja yawwith mmiss ammiss!  (Lounja  a été emmenée par son cousin).
L’ogresse se réveilla en sursaut et appela Lounja et le mortier de répondre, à se méprendre, avec la voix et les paroles de la fugitive. D’un geste rapide, elle prit le satané menteur et l’avala comme on avale un amuse-gueule. Les autres animaux firent de même et subirent presque tous le même sort. Mais il arriva que la sécrétion de Lounja  n’eût plus d’effet à cause de la chaleur ambiante. Alors la bête découvrit la félonie de sa prisonnière et la poursuivit dare-dare.
Dans sa fuite, Lounja demanda à la lune :
-Ayour ayour, mani thalla Hanna Thamza? (Lune lune, où se trouve mère Thamza?)
-Oyour oyour ala hal athlahqadh khem! (vite vite, elle est sur le point de vous rattraper) répondit la lune.
Pour retarder la course effrénée de la goule, l’audacieuse Lounja lança une ceinture du vent, mais se fut de courte durée. La terrible ogresse fit vite de regagner du terrain. Alors la fille de lancer successivement toutes les ceintures enchantées mais à chaque fois la forcenée les rattrapait. Seules   les eaux  tourbillonnantes d’un oued les séparaient.  L’ogresse invoqua alors le firmament :
-Je l’ai allaitée et couvée, et pour me remercier elle me quitte avec le premier venu. Je la maudis ! Ô ciel, faites en sorte qu’elle soit clouée au sol sans bouger.
Le résultat fut instantané. La pauvre Lounja s’affaissa et ne put bouger ses membres. Mais à son tour, elle clama en direction de l’Ether :
-Je l’ai servie et gavée comme personne et pour me remercier elle m’a asservie cette hypocrite ! Je lui souhaite la même chose qu’à moi Ô ciel !
Le dôme céleste ne se fit pas prier. L’ogresse se retrouva dans la même situation que sa « filleule ». Miracle. Peut-être que l’état  d’incapacité où elle se trouvait fit son effet où peut-être même que son côté humain prit le dessus, elle se calma et se rasséréna. Elle revint à de meilleurs sentiments. Et avant de se quitter, elle donna à Lounja deux conseils qui allaient se révéler d’une grande utilité par la suite : « Ne vient en aide à aucun homme qui porte un poids sur sa bête et ne t’interpose en aucun cas entre deux corbeaux qui se battent ! »
Les deux jeunes gens reprirent leur chemin plus sereinement car tout danger était écarté. Mais sur la route, ils rencontrèrent, comme l’avait prédit l’ogresse un homme à cheval qui s’apprêtait à descendre de sa monture pour reprendre un sac pesant par terre. Ils continuèrent leur chemin sans y prendre garde. Et un peu plus loin, ils se retrouvèrent nez à nez avec deux corbeaux géants qui  obstruaient le sentier. Ils faisaient un bruit énorme en se chamaillant. N’en pouvant plus d’attendre car pressé d’arriver au village, le jeune homme s’interposa entre eux et fut sur le champ happé par l’un des deux énormes volatiles…
Lounja se retrouva seule et sans protection dans une contrée inconnue pour elle. Elle se mit à se lamenter sur son mauvais sort. Alors la voix de son cousin se fit entendre des entrailles de l’oiseau :
-Lounja, longe l’oued, une fois au village ne dis mot sur toi et enfile une peau de chien galeux. Je serais toujours à tes côtés.
Comment, quand ? Elle ne saurait répondre mais avait-elle le choix ? Du tout. Bon gré mal gré, elle fit tout ce que lui conseilla son cousin puis se faufila au bourg. Elle attendit dans un coin désert la tombée de la nuit. Quelques instant plus tard, le gros oiseau apparut dans le ciel et la voix du jeune homme d’arriver aux fines oreilles de Lounja. Et pour éviter d’être éventé, il l’appela par un autre prénom : «Leila, Leila ! Qu’est ce qu’on  t’a donné pour ta subsistance ?
-J’ai eu droit au son, le sol pour matelas et le ciel pour couverture.
-Quel honte pour la grande maison ! Je m’apitoie sur ton sort ».
Les gens ayant entendu les paroles pleine d’amertume de la chienne et la désillusion de la voix émanant du ventre du corbeau, firent en sorte de remédier à la méprise en gavant Leila toujours emmitouflée dans la peau de l’animal avec ce qu’ils avaient de succulent comme nourriture. La nuit suivante, le corbeau revint à la rescousse et le cousin de demander :
-Leila,Leila ! Quel a été ton menu ?
-De la bonne chaire et du satiné pour matelas.
-Ô joie intense, la grande maison a été au rendez-vous !
Au fait de ce qui était arrivé à son fils, la mère de notre héros consulta la doyenne du village qui lui conseilla d’égorger un chevreau, de le bourrer de sel et de le laisser près de la rivière. L’oiseau survola le village sous le regard inquiet de la population puis piqua comme un faucon vers la masse sur la rive et avala le cabri. Quelques instants plus tard, le surplus de sel qu’il avait absorbé dans la carcasse du biquet lui donna une soif carabinée. Il resta un long moment à boire l’eau de la rivière. La viande salée à outrance et l’eau but en grande quantité lui causèrent une grande colique, il ne s’en débarrassa qu’en dégurgitant tout, y compris notre héros.
Une grande liesse régna dans le village, le jeune homme sauta sur l’occasion pour faire une déclaration qui était pour le moins qu’en pût dire biscornue. Il annonça tout enchanté qu’il allait s’unir à la chienne galeuse. Son annonce fit beaucoup jaser. On crut à un sort jeté par une quelconque sorcière. On avait beau essayé de le faire revenir sur sa décision mais il ne donna guère suite aux supplications de tout le monde. Le matin suivant, une jeune et jolie créature sortit de la demeure du jeune homme. Tout le monde fut scié devant la beauté envoûtante de la fille. C’était Lounja qui avait entre temps fait un brin de toilette et coupé ses longs cheveux. On crut d’abord à la rupture soudaine d’un envoûtement quelconque. Une fois toutes les explications fournies, tout le monde participa aux festivités. Des chants pour l’occasion furent entonnés.
Pris d’une crise de jalousie, le demi-frère de Lounja, qui ne s’était à aucun moment apitoyé sur le sort de sa demie sœur, insista pour prendre en justes noces une autre chienne du village avec l’espoir qu’elle se métamorphosât le jour d’après en une créature de rêve. Le matin suivant, la servante sortit en criant : « Mon maître a été dévoré par sa chienne de femme. De lui, il ne subsiste que les entrailles ! »
Les jeunes mariés vécurent longtemps et eurent beaucoup d’enfant.   
    

  

   

 

هناك تعليق واحد:

تسجيل القفطان المغربي كعلامة جماعية دولية: انتصار للتراث المغربي

تسجيل القفطان المغربي كعلامة دولية – أكاديمية التراث تسجيل القفطان المغربي كعلامة جماعية دولية: انتصار للتراث المغر...